Interview des créateurs et dessinateurs du singe de LC Waïkiki par Nath-Didile

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Pour compléter mon grand dossier sur la marque LC Waïkiki que vous pourrez retrouver ICI, voici les interviews exclusives du directeur du studio Waïkiki Bernard Werner et de deux dessinateurs, Emmanuel Cornet et François Schmeltz, que j’ai pu réaliser en collaboration avec mon ami Alexandre Jullion, grand collectionneur du Petit singe. 

Merci à Bernard, Emmanuel et François d’avoir joué le jeu en répondant à nos questions pour le plus grand plaisir des fans nostalgiques de l’inoubliable et emblématique chimpanzé.

Bernard Werner

Bernard Werner fut tout d’abord dessinateur puis devint directeur du studio LC Waikiki jusqu’au déclin de la marque. Il est resté 4 ans dans l’entreprise, de 1990 à 1993. Il y a eu à ses côtés six illustrateurs et une coordinatrice du studio de création.

Lorsqu’il est arrivé, il y avait déjà le conflit d’ordre graphique avec le gorille de la marque Town & Country dont j’ai parlé dans l’article. En collaboration avec François Schmeltz, il a modifié l’aspect lourdaud du gorille et l’a transformé en un chimpanzé, plus agile et pouvant faire mille facéties et grimaces sur les visuels. C’est ce personnage qui a été déposé officiellement par LC Waïkiki.

Bernard Werner a ainsi créé des dizaines et des dizaines de dessins avec le fameux chimpanzé facétieux pour le dos des t-shirts. Les autres illustrateurs ont adopté ses canons et son graphisme spécifique, il fallait s’y conformer car il devait y avoir une unité graphique, quelque soit le dessinateur. Ils ont donné libre cours à leur imagination pour le mettre dans toutes les situations et lui faire vivre toutes les aventures. C’est cet aspect créatif, délirant et rigolo qui a façonné l’identité de la marque et donné le succès fulgurant que l’on connait. 

L’idée du cadeau offert pour les achats est venu à Bernard Werner grâce à Pif gadget et à la lessive Bonux, Il y a eu des autocollants, des porte-clefs et des pin’s.

Interview Bernard Werner

Nath-Didile : Quel a été votre parcours avant d’arriver chez Waïkiki ? Quelle formation avez-vous eue ? J’ai lu que vous étiez un passionné de BD. Lesquelles, et de quelle manière avez-vous utilisé cette culture BD pour Waïkiki ?
 

Bernard Werner : J’ai toujours aimé dessiner, aussi longtemps que je m’en souvienne , ça a été un moyen d’intégration sociale. Je me suis essayé tôt à la BD amateur, à l’époque il y avait plein de fanzines, j’ai participé à quelques-uns en publiant mes planches puis j’ai créé le mien avec d’autres passionnés. J’allais à tous les salons de BD amateur, on y croisait des pro, comme Carali, Gotilb et bien d’autres. Je n’ai eu aucune formation scolaire dans le dessin mais je croyais au peu de talent que je me prêtais. Je voulais être illustrateur, ça ne s’est pas fait tout de suite. Quand j’ai eu assez confiance en moi , je me suis mis à mon compte dans la publicité, l’affiche et tout autre support sur lequel je pouvais m’exprimer, même les murs. Ca marchait bien puis un jour, par hasard, j’ai vu une annonce sur un journal qui demandait un dessinateur pour des t-shirts. J’ai appelé, obtenu un rendez-vous et après avoir fait une dizaine de croquis, j’ai été embauché chez Waîkiki. Mon parcours graphique correspondait parfaitement à ce que voulaient les patrons, un style comique et déluré.

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Nath-Didile : J’ai lu que vous aviez trouvé l’emploi dans un journal d’annonce ? Est-ce vrai ? Et pouvez-vous m’en dire un peu plus ?

Bernard Werner : A l’époque je faisais pas mal de décoration d’intérieur pour des restaurants et autres magasins de musique sur Paris mais je voulais passer à autre chose. Je ne sais pas ce qui m’a pris d’acheter un journal pour aller à la pêche aux annonces , moi qui n’en achetais jamais. Et je suis tombé sur une annonce succincte « cherche dessinateur t-shirt  » avec un numéro de téléphone. J’ai appelé et me voilà à Paris dans le quartier du sentier dans un petit magasin de sportswear en compagnie de plusieurs candidats à qui on distribue des crayons et des feuilles A4 ainsi que des représentation du gorille qui était le personnage symbole de la marque.
 

J’ai griffonné un gorille sur un surf (dessin ci-contre à droite) mais j’ai pris un des patrons à part en lui expliquant que ce n’était pas vraiment une bonne méthode pour trouver leur dessinateur. C’était un vendredi , je lui ai dis de me laisser le week-end pour lui faire quelques propositions graphiques que je lui montrerais le lundi. J’ai bossé tout le week-end sur des visuels de t-shirts, une bonne dizaine, que j’ai insérés dans un cahier de feuilles transparentes et je l’ai remis le lundi. Georges Amouyal, l’un des patrons, l’a feuilleté d’un regard étonné et est sorti de suite de la pièce qui m’accueillait. Il est revenu avec Serge Kraif, l’autre patron. Ils ont feuilleté ensemble mon cahier et ils m’ont tout de suite dit « T’es embauché ». Le lendemain, je commençais chez Waïkiki et les dix projets de dessin que j’avais réalisés on été parmi les plus gros succès commerciaux de cet été 1990. 

Ci-dessous le visuel des illustrations de l’été 1990, Bernard Werner a réalisé les dessins de ceux qui sont indiqués par une croix.

 
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Nath-Didile : Des goodies étaient offertes en cadeaux pour l’achat des vêtements. Je l’ignorais à l’époque. C’était à quelle période ? Il y a eu des carte postales, porte-clefs, pin’s et autocollants apparemment. Est-ce qu’il y a eu autre chose ? Est-ce que ces objets étaient également en vente par ailleurs ou juste fabriqués pour être offerts ?

Bernard Werner : Je pense que les petits cadeaux avec les t-shirts ont commencé en 1990, et ça a duré jusqu’à la fin. Au tout début avant 1989, il y avait déjà des cartes postales et des pin’s à l’effigie du gorille mais ils n’étaient pas offerts. Les  porte-clefs eux étaient offerts avec les t-shirts mais les revendeurs pouvaient très bien les faire payer. Toute sorte d’objets ont fini par être proposés en cadeaux  : des bouées, des cintres gonflables, des yo-yos, des appareils photos. Je suis sur que les collectionneurs en savent bien plus que moi à ce sujet. Vers la fin de l’aventure, j’avais tant choses à gérer que je n’ai pas pu tout voir et j’ai démissionné du studio 3 mois avant que la marque soit revendue.

Voici la planche des gadgets pour l’été 93.

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Nath-Didile : J’ai lu ceci dans un article du magazine « Entreprendre » d’avril 1995 : « l’année 1994 a vu la concrétisation de plusieurs contrats de licence portant sur l’alimentaire avec la création d’un jus de fruit « LC Waïkiki », les cosmétiques par le lancement d’une gamme de produits, et également la décoration murale. La société projetait même la signature d’une nouvelle licence portant sur des lunettes optiques et solaires ». Est-ce qu’il y a eu réellement un jus de fruit ? Je n’ai pas trouvé de trace en visuel.

Bernard Werner :  Je crois que la marque à été vendue fin 93, cela m’étonne de lire que des contrats licences couraient en 94. Je n’ai jamais eu connaissance de jus fruit Waîkiki. Pour les cosmétiques, à part les shampoings il n’y a pas eu grand chose. Il a eu du papier peint, ça c’est sûr, je l’ai réalisé (ci-contre à droite). Pour les lunettes, je n’ai vu que des modèles solaires un peu cheap. Il y avait surement des projections avant que tout s’arrête brusquement, les patrons n’avaient prévenu personne de la vente de leur marque.


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Nath-Didile : Pour les cosmétiques, j’ai vu en effet des gels douches/Shampooing et parfums. J’ai lu aussi que vous parliez de l’idée du parc d’attraction ? Est-ce vrai, l’idée avait été envisagée ? 

Bernard Werner :  oui, j’étais dans mon innocence créative à l’époque ! Et voyant l’ampleur du phénomène, l’idée d’un parc d’attraction genre parc Astérix m’étais venu à l’idée. J’en avais même parlé à l’un des patrons, tout comme le fait de déménager le studio de Paris en province. La plupart des dessinateurs étaient d’accord,  on ne se doutait pas du tout que les discussions pour la vente de la marque étaient en cours, ce qui signifiait la fin de l’aventure pour tout le monde. J’ai quitté le navire trois mois avant.

Ci-dessous, un gigantesque singe Waïkiki qui était destiné à la vitrine de la boutique à Paris. Il prenait appui sur le mur avec sa main droite. On aurait très bien pu imaginer ce genre de structure pour un parc d’attraction.
A gauche Bernard Werner et Georges Amouyal, un des patrons. A droite, l’équipe qui a construit le personnage.

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Nath-Didile : Autre sujet qui me tient à coeur car c’est ma première formation professionnelle : la pub. Pourquoi il n’y a pas eu de pub magazine ? Il y a eu une campagne de pub télé/ciné coûteuse (j’ai lu dix millions de francs budgétés !). Alors pourquoi pas de grosse campagne magazine ? Choix stratégique ?

Bernard Werner :  Il y a bien eu de la pub dans le journal de Mickey, j’en ai réalisé la page (ci-contre à droite). Il n’y avait pas vraiment de campagne dans les magazines mais de nombreux articles sont parus dans divers magazines de mode : Maxi , Maison et Travaux, Ok, Age Tendre, Bravo Girl, etc… dans lesquels on présentait en photo toute sorte d’articles avec d’autres marques. La pub connue télé/ciné est liée à un copinage financier. Comme beaucoup de ce qui s’est fait dans de nombreux domaines, je n’ai pas participé à ces décisions, je l’ai trouvée personnellement à coté de la plaque, le réalisateur s’est juste fait plaisir. J’avais réalisé un story bord en animation lorsqu’on a commencé à parler pub télé mais il n’a pas été retenu.
Il y a eu aussi la bande-dessinée, dont la planche s’est retrouvée sur le linge de lit
(ci-dessous).

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Nath-Didile :  J’ai vu la campagne d’affichage, est-ce que vous savez pourquoi on a fait le choix de visuels avec des hommes politiques grimés en singe ? Qui a eu cette idée étrange et risquée ? Est-ce que vous avez eu vent de retour négatif à l’époque? De procès ou autre ?

Bernard Werner : Comme pour la pub télé complètement fantasmagorique, cette campagne d’affichage d’hommes politiques transformés en singe, je l’ai découvert en même tant que tout le monde. Etrangement le succès de la marque ne doit rien à la publicité, c’est un succès populaire. Je ne pense pas que ces campagnes complètement à coté de la plaque, qui flattaient plutôt l’égo des réalisateurs, aient rajouté quoi que que soit à sa popularité. Concernant les retours, je n’ai jamais eu vent de procès, d’ailleurs ce fut une campagne réduite en terme d’affichage et de durée.

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Interview Emmanuel Cornet
 

Alexandre : Quel a été votre parcours avant d’arriver chez Waïkiki ? Quelle formation avez-vous eue ?

Emmanuel Cornet : Après des études d’arts plastiques, j’ai travaillé un peu dans la pub, dessiné un peu dans la presse pour enfants. Lorsque je suis entré chez L.C. Waïkiki, en 1992, je sortais d’une année passée à dessiner pour la marque « Grain de Sable ». Le personnage sur les t-shirts était un crocodile. Quand l’aventure « Grain de Sable » s’est arrêtée, j’ai envoyé mon c.v. chez L.C. Waïkiki, et deux ou trois jours plus tard, j’ai été reçu par Bernard Werner. J’ai commencé à dessiner le jour même, un rêve ! Je n’oublierai jamais cette journée …
J’y suis resté une dizaine d’années.

 

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Alexandre : Des goodies étaient offerts en cadeau pour l’achat des vêtements : les porte-clés. En avez-vous élaboré certains ?

Emmanuel Cornet : Il y a eu plusieurs séries de porte-clés. On dessinait le personnage sous différents angles et on recevait des « samples » avant la production. Je me souviens très bien de ces moments. Il y avait des figurines qui étaient un peu raides, avec les bras écartés. La série suivante était mieux. Je revois Bernard en train de dessiner un singe magicien, un joueur de baseball, un bagnard, un cosmonaute, etc… Il y avait beaucoup de porte-clés !

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Alexandre : Étant collectionneur, au fil du temps, j’ai pu inventorier beaucoup d’objets dans plusieurs domaines comme la papeterie, les fournitures scolaires, le linge de lit, les porte-clefs, les jeux de plage, les pin’s, les briquets. Parmi tout ce qui a été édité, quel objet vous tient le plus à cœur ?

Emmanuel Cornet : Il y a eu tellement de produits dérivés. J’aimais bien lorsque nous dessinions les serviettes de plage par exemple, c’était en taille réelle, on dessinait par terre ! Je me souviens d’une jaquette de jeux vidéo. C’était très varié. Il y a eu aussi des montres, des bains moussants (avec le buste du singe en bouchon !), du parfum avec le singe sculpté en flacon, et même des briquettes de jus de fruits. On nous en a livrés une pleine palette dans le studio ! Nous avons fini par tout boire. Si seulement j’avais su garder quelques t-shirts et des gadgets ! Mais on m’en demandait sans arrêt et j’ai fini par tout donner.

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Alexandre : Concernant les figurines porte-clefs, est-ce qu’ils étaient également en vente par ailleurs ou juste fabriqués pour être offerts ?

Emmanuel Cornet : Les figurines étaient offertes, mais certains commerçants ne se gênaient pas pour les vendre ! Les t-shirts de base étaient sacrément qualitatifs : Une sérigraphie 8 couleurs au dos, une sérigraphie colorée en recto-cœur, une superbe étiquette tissée sur une manche, et la figurine en plus ! Excusez du peu.

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Alexandre : Concernant l’ambiance au studio, j’imagine qu’avec l’équipe, vous avez eu des moments de rigolade, avez-vous un souvenir en particulier ?

Emmanuel Cornet : J’ai tellement de souvenirs de cette époque. Parfois, Bernard apportait un régime entier de bananes au studio ! Georges Amouyal, notre patron, nous laissait beaucoup de liberté, il savait que c’était bon pour la créativité. C’est vrai que ça délirait pas mal. ​

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Alexandre : Dans le secteur de la publicité dans les magazines, j’ai pu récupérer un numéro du journal de Mickey avec un bonus, un kit pour fabriquer deux objets, en avez-vous également dessiné pour ce magazine et d’autres ?

Emmanuel Cornet : Je ne me rappelle pas avoir dessiné pour des magazines. Je me souviens d’une pub dessinée par Bernard dans le journal de Mickey. Le dessin, en pleine page, était génial. On y voyait plein de singes dans des tas de costumes différents et un slogan du genre « on peut rester simple et vivre plein d’aventures », un truc comme ça.

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Alexandre : À l’époque, une campagne d’affichage avec comme support des caricatures d’hommes politiques, et un spot télévisé ont vu le jour, avez-vous eu votre mot à dire ou c’était la décision des patrons ?

Emmanuel Cornet : On a dû voir les visuels avant la campagne, mais quant à avoir notre mot à dire, non je ne crois pas. Peut-être François ou Bernard. Cette campagne de pub avait pas mal fait parler à l’époque. Il y a eu aussi un spot télévisé avec Carla Bruni, et plus tard un spot télé en animation pour la Turquie. François et moi avons dessiné le storyboard.

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Alexandre : Parmi vos collègues, le plus connu associé au chimpanzé est Bernard Werner. Etes-vous arrivé dans la société au même moment ou est-il arrivé avant vous ? Comment décrivez-vous votre relation de travail, que ça soit avec lui ou vos autres collègues ?

Emmanuel Cornet : C’est Bernard qui m’a embauché. Il y avait un autre dessinateur avant Bernard, François Schmeltz, dit « Fratz », qui lui est resté jusqu’au bout et qui continue de collaborer avec Georges.

Ci-contre à droite une photo de 2022 avec François Shmeltz (« Fratz ») à gauche et Emmanuel Cornet à droite.

Quand je suis arrivé, il y avait François, Bernard, Cathy et Alexandre. Fratz et Bernard étaient deux dessinateurs accomplis, avec des styles différents. Bernard avait un style très dynamique, assez marqué « hip-hop graffiti ». Fratz était déjà un artiste complet, à l’aise avec tous les styles de dessin, la peinture à l’huile ou la sculpture. Cathy était une illustratrice formidable. Elle dessinait tout le temps, partout. Alexandre encrait parfois les crayonnés de Bernard. Hélas Cathy est partie assez vite du studio. Et Bernard un an plus tard il me semble. Mes relations de travail avec Bernard et François étaient excellentes, j’ai énormément appris avec eux. Ils avaient des caractères bien différents, Bernard était fantasque et extraverti et François était calme et pince-sans-rire. Notre point commun, l’amour du personnage bien sûr, et le fait que nous dessinions toute la journée, tous les jours, et ça nous rendait heureux. J’étais effondré quand Bernard m’a annoncé son départ. François et moi sommes restés en contact.

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Alexandre : Encore une petite question, sauriez vous m’expliquer pourquoi la chanson « la danse du Waikiki » a vu le jour ?

Emmanuel Cornet : Ah tiens, je l’avais oubliée celle-là ! Personnellement, l’ayant écouté, c’est pas terrible, mais bon, avoir le vinyle dans sa collection est incontournable. En fait, je me souviens des crises de rire qu’on avait en l’écoutant ! Les cris de singe et tout… C’était assez insupportable ce truc !

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Alexandre : Et pour terminer, si on s’intéressait un petit peu à ce que vous avez fait après l’épisode lc Waikiki, qu’avez-vous fait depuis ?

Emmanuel Cornet : Après, j’ai dessiné un peu en solo, j’ai voulu faire de la BD, mais ça n’a pas bien fonctionné et le travail en studio avec François me manquait terriblement… Alors j’ai travaillé pour deux ou trois marques sans intérêt avant de rejoindre Goéland Distribution, un important site de création et de vente de t-shirts rock, où je suis resté 13 ans. Une sacrée aventure aussi… Aujourd’hui, je ne suis plus dans ce milieu, et quand je dessine, c’est pour le plaisir. Je poste parfois des dessins sur mon Instagram. Des trucs de vampires sexy…
https://www.instagram.com/emmanuel.cornet/

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Interview François Schmeltz

Alexandre : Tout d’abord parlons de votre parcours avant d’arriver au studio, étiez-vous déjà dans le métier ou une passion ? Avez-vous suivie des études sur l’art graphique ?
 

François Schmeltz : En primaire mes dessins finissaient tous au mur de la classe. Une de mes soeurs ainées était très douée en dessin et peinture. Elle a fait les Beaux-Arts à Paris par la suite et en fait toujours son métier. J’ai naturellement suivi sa route. Le métier d’artiste était déjà présent dans ma tête. Après la classe de 3ème, je suis rentré au lycée Technique de Sèvres, spécialité arts graphiques. J’avais 25 heures de dessins par semaine, le reste étant des cours normaux. Il y avait beaucoup d’ateliers différents : graphique, chromatologie, tissage, sculpture, croquis de nus, peinture, etc… Avec mon Brevet de technicien en poche, j’ai tenté les concours aux écoles d’Art de Paris. N’ayant pas réussi les deux principales écoles que je visais, j’ai enchainé une année à l’atelier Corlin à Paris. Une année spéciale pour préparer les concours, que je réussissais plus facilement l’année finie. Je suis rentré à Duperré Paris. Je voulais dessiner mais parmi les spécialités qui étaient proposées, il n’y en avait pas qui remplissait toutes les cases. J’ai choisi le stylisme, un peu par dépit. Aujourd’hui il y a la formation bande-dessinée, dessin animé, numérique. Le BTS durait 3 ans (je n’ai toujours pas compris pourquoi). Parallèlement à mes études, je participais chaque année à des expositions de peinture où je peignais mes tableaux la veille (en ayant auparavant indiqué le titre et le prix pour le catalogue…).

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Alexandre : Comment avez-vous trouver cet emploi de dessinateur chez Waïkiki ?

François Schmeltz : Après mon service militaire et un bon mois de vacances, j’ai acheté le journal (Le Monde ou le Figaro je ne sais plus trop….). Les offres d’emploi étaient le lundi matin. Je cherchais un poste de styliste ou équivalent. Je suis très rapidement tombé sur l’annonce de la société DDKA, qui recherchait un dessinateur dans le textile.

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Alexandre : Avez-vous passé un test pour intégrer l’équipe ? Bernard Werner nous a expliqué qu’on lui avait demandé de faire le dessin d’un gorille et c’est ce qui lui a permis d’être embauché.

François Schmeltz : Non pas du tout. La société n’avait pas de dessinateur et voulait embaucher. J’y suis allé avec mon carton à dessins et mon CV qui n’était pas bien riche d’expérience. Les dirigeants ont bien accroché et m’ont donné un petit travail personnel à réaliser chez moi, je crois que c’était un dessin pour une sérigraphie tee-shirt. Deux jours après, je suis revenu et ils m’ont embauché. Le gorille n’existait pas. Seul le logo de la marque représentait en silhouette une tête de gorille de profil avec une bulle de chewing-gum et des lunettes de soleil.

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​Alexandre : Une fois embauché, quel fut votre premier dessin ?

François Schmeltz : Ayant commencé en octobre 1987, mes premiers dessins était destinés à la saison hiver et c’était surtout des écussons et badges brodés qui devaient être cousus sur des sweats. Puis au cours de cet hiver, Serge Kraif, l’un des dirigeants à l’époque, est venu me voir et m’a demandé de faire 40 dessins pour les tee-shirts de l’été à venir. Le singe n’était pas encore sur les tee-shirts, mis à part ce fameux logo. J’étais vraiment content car ce boulot me convenait à merveille. Pas trop dans la mode mais beaucoup dans le dessin. Au cours du printemps, Georges Amouyal m’a demandé de développer ce logo du gorille et d’en faire un personnage à part entière.
Ci-dessous les 3 singes de la sagesse, version Waikiki.

Un an après mon embauche les dirigeants m’ont demandé de l’aide pour embaucher un autre dessinateur. J’en ai donc reçus une trentaine qui ont répondu à l’annonce. Nous avons embauché une dessinatrice qui m’a secondé. Le singe commençait à faire son apparition sur les vêtements et le succès a démarré à ce moment-là. Je me souviens d’avoir réalisé une affiche pour le métro avec 3 singes en tenues d’hiver et avec des skis en format 4X3m. La demande en dessins se faisait de plus en plus forte. Il fallait mettre le singe partout.
C’est à ce moment là que j’ai reçu Bernard, parmi la trentaine de dessinateurs qui répondait à l’annonce dans le journal (
Ci-contre, une photo de François Shmeltz (à gauche) avec Bernard Werner (à droite) en juillet 1991).
Les cartons à dessins des artistes qui venaient n’étaient pas trop représentatifs de ce que l’on voulait vraiment (il est facile d’avoir plein de dessins dans un carton !). Je faisais passer un petit test rapide (10mn max) permettant de voir à quel niveau de dessin chaque candidat était et la facilité à développer le petit singe que je leur présentais. Bernard nous a tout de suite tapé dans l’œil. Nous l’avons illico embauché. Avec son excellent coup de crayon, il a apporté beaucoup au singe, à le développer et lui rendre une âme et le gorille est devenu un chimpanzé.

​Ci-dessous un dessin de François Shmeltz de 1991 où on voit bien la transformation du gorille en chimpanzé, les lunettes ont disparu et il fait le signe distinctif avec les doigts. 

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​Alexandre : Avec le temps, de nombreux objets dérivés ont vu le jour. Avez-vous travaillé sur certains en particulier ? Avez-vous gardé certains d’entres eux dans vos cartons ?

François Schmeltz : J’ai travaillé sur pratiquement toutes les licences. Les produits dérivés ont vu le jour dès que la marque a explosé. Le chiffre d’affaire doublait chaque année. Tout le monde voulait du singe Waikiki sur ses produits. Le travail était vraiment super. Nous travaillions sur toutes sortes de projets, du parfum aux poussettes de bébé, chaussettes, bagagerie et lingerie, du papier peint au stylo bille (avec le petit singe qui bougeait dans l’eau). Notre plus forte motivation restait malgré tout les tee-shirts de l’été et les serviettes de bain. Travailler sur de si grands supports était excitant.
Mes cartons sont effectivement remplis de dessins mais beaucoup ont été jetés car au fur et à mesure que les années passaient, je trouvais les anciens dessins un peu moins bons. D’autres trop encombrants. Le singe s’incrustait dans nos rêves les nuits, partout on le voyait dans la rue sur des tee-shirts portés par un tas de gens inconnus, jeunes et moins jeunes, dans tous les lieux jusqu’au plus profond du pays.

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​Alexandre : Votre parcours chez Waïkiki a duré combien de temps ? Etes-vous arrivé en cour de route et êtes-vous resté jusqu’au bout ?

François Schmeltz : La marque a été crée en septembre 1985. J’y suis entré en 1987. Il y a eu 9 dessinateurs en tout qui ont travaillé sur le singe. J’étais le premier… et je fus le dernier. Au plus fort des années 90, le studio dessin comprenait 6 dessinateurs. Quand la marque a été cédée en 1997, nous avons continué jusqu’en 2006 à dessiner le singe pour LC Waikiki. Il restait Emmanuel et moi. Puis il a été remercié. Ce fut un triste jour. La société ayant racheté les droits ne trouvait pas de dessinateurs en Turquie pour continuer la marque. Tous les essais qu’ils me montraient étaient horribles.
Ce n’était plus pareil. Je ne voyais pas les produits finis et les demandes n’étaient pas toujours aussi fun que ce qu’on avait connu auparavant. J’envoyais mes dessins du singe, ils rajoutaient les textes et faisaient les placements.

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​Alexandre : Durant ces années, j’imagine que vous avez créé beaucoup de souvenirs avec vos collègues, en avez-vous un en particulier qui vous a marqué ?

François Schmeltz : Il y a effectivement un souvenir qui reste à jamais dans ma mémoire. Années 89 et 90, tous les matins il y avait la queue dehors très tôt. Nous arrivions travailler pour 8h et il fallait passer discrètement par la cour arrière pour ne pas ouvrir la porte d’entrée sur la rue. Car dès qu’elle était ouverte, les clients (professionnels) se ruaient à l’intérieur du magasin et remplissaient de grands sacs poubelle de t-shirts, souvent même sans regarder les dessins. Ils en prenaient 10 ou 20 à la couleur, le plus vite possible pour ne pas qu’un autre client ne les prenne. Pour chaque sérigraphie, nous avions au moins 10 couleurs de t-shirt. En milieu de matinée il n’y avait plus rien. 5 000 t-shirts soigneusement rangés dans les casiers la nuit par les manutentionnaires avaient été vendus. Et ça recommençait le lendemain. Les grossistes environnants du quartier venaient voir la cohue avec envie. Je pense que tous s’en souviennent encore !

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​Alexandre : Avez-vous une anecdote sur l’un des dessinateurs, Emmanuel nous en a donné une bien sympathique sur Bernard qui rapportait régulièrement un régime de bananes.

François Schmeltz :  A force de dessiner le singe tous les jours et de le faire vivre, il nous arrivait parfois de faire des gestes et des cris de chimpanzé. Le meilleur dans ce domaine était Alexandre.

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​Alexandre : Etant collectionneur d’objets Waïkiki, je pense avoir la collection complète des pins’s. Est un projet sur lequel vous avez travaillé ?

François Schmeltz : Dès 1988 nous avons sorti la première collection et par la suite une ou deux séries par an. Une bonne partie doit venir des mes créations.

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​Alexandre : Selon vous, pourquoi les grands patrons ont décidé de vendre la société à une entreprise turque, sachant que là-bas c’est devenue une marque incontournable avec pas mal de magasins ?

François Schmeltz : Le phénomène de mode est responsable en grande partie de la vente des droits. Aujourd’hui une mode passe très vite et change tous les ans. Nous avons pu à l’époque cartonner plusieurs années, c’est formidable. Puis petit à petit, nous sommes rentrés dans la grande distribution (Carrefour, Auchan, 3 Suisses etc…). Les magasins de détail ne pouvant plus faire concurrence sur les prix. Nous avions au sein de l’entreprise un directeur commercial spécialisé de la grande distribution.
Par ailleurs, il fallait réduire les coûts pour nous aussi : on supprimait une sérigraphie sur une manche, une étiquette tissée, il n’y avait plus de porte-clef, donc moins de créations pour nous. Et puis un jour la grande distribution est devenue moins rentable. La décision a été prise par Georges Amouyal, qui depuis quelques années était devenu l’unique PDG de la marque. La Turquie a bien contrôlé la marque et a rapidement supprimé les licences accordées à d’autres boutiques en ouvrant ses propres magasins. Plus d’intermédiaires, direct de l’usine au magasin. Il en existe plus de 200 je crois.
La marque en Turquie est un peu comme H&M en France, un grand magasin avec des milliers de produits différents. Elle est souvent citée comme première marque dans ce pays.

 

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​Alexandre : Quand on regarde l’évolution du personnage, on a commencé avec un gorille (qui a valu des petits soucis aux patrons avec une autre marque qui l’utilisait déjà) et ça s’est terminé par un chimpanzé. Qui décida à l’époque de choisir un gorille comme image de la marque et qui fut le premier à le dessiner/créer ? Même question pour le chimpanzé.

François Schmeltz : Le logo représentait effectivement un gorille comme je l’ai cité plus haut. Ce logo est devenu un personnage que j’ai travaillé petit à petit à la demande des dirigeants et des clients qui le demandaient de plus en plus. C’est à la troisième saison d’été (1990) que l’on commence à voir le gorille enlever ses lunettes puis devenir plus rigolo. L’évolution du gorille a changé et il est devenu chimpanzé.

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Alexandre : 
Maintenant, parlons de la publicité. Il y a eu les spots télévisés (personnellement je n’ai pas compris le concept, pourquoi faire compliqué et en noir et blanc alors qu’une pub colorée avec des produits portés par les comédiens aurait été plus adéquate) puis la campagne d’affichage avec les personnalités politique et quelques pubs dans les magazines pour enfant/ado. Tout cela était-il un choix délibéré des patrons ou/et des employés ?

François Schmeltz : Là dessus je ne pourrais pas trop m’avancer. 10MF ont été investis dans une campagne publicitaire cinéma et TV en 1991. Les directeurs faisaient appel à des pros de la publicité, et bien souvent je voyais les affiches et encarts en même temps que tout le monde. Pour les magazines ados, nous avions plus la main, fans club et concours. Nous avions 2 attachées de presse.

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​Alexandre : Pour terminer, parlons de votre carrière. Après la sortie du studio, qu’avez vous fait ? J’imagine que vous êtes resté dans le dessin tout comme Bernard ou Emmanuel.
 

François Schmeltz : La suite n’est pas trop mal non plus. LC Waikiki a été une très bonne aventure pour nous. Après le départ d’Emmanuel, il restait Georges Amouyal et moi. Nous avons créé la marque  » EASE », sportswear, très technique, puis des cuirs hommes avec la licence  « Steve Mc Queen » sour la marque « Gnews Industry » que nous avons également créee. Je dessinais les vêtements, les fiches techniques mais aussi les sérigraphies et broderies. Deux ans plus tard, cette marque est devenue femme et je continuais à dessiner des t-shirts avec une foule de détails. Les produits étaient très qualitatifs mais un peu chers.
Au cours de l’été 2008, je suis passé par hasard place des Vosges à Paris. J’ai réalisé que pas mal de tableaux exposés dans les galeries étaient (chacun ses goûts) des collages monstrueux et que j’avais peut-être ma place ici. Georges Amouyal ayant des goûts artistiques à peu près comme les miens, assez graphiques et BD, nous avons discuté et rapidement j’ai peint quelques huiles, des compositions Pop Art avec des personnages connus . Quelques mois plus tard, j’étais inscris à la MDA et j’exposais rue Mermoz à Paris, puis place des Vosges. Nous avons arrêté le textile, trop contraignant avec ses saisons et ses soldes. Depuis nous formons un duo d’artistes, F&G (Fratz et Gio – Fratz étant mon nom d’artiste et Gio celui de Georges Amouyal) et continuons de créer des oeuvres Pop Art qui sont exposées dans des grandes galeries. Peintures sur toiles, sculptures résine mais aussi en plexiglas et néons, pleins de créativité dans les supports et les sujets. De Mickey à Tom & Jerry, et aussi un petit chien nommé Pitchou (qui était souvent représenté avec LcWaikiki pour les collections filles). Aujourd’hui notre principal partenaire pour les galeries est Eden Fine Art (https://www.eden-gallery.com/artist/f&g).
De temps en temps, il y a un petit coup de nostalgie des années Waikiki et.un petit singe apparait discrètement dans une composition ou un tableau « MisterChimp » qui rappelle étrangement notre petit chimpanzé.

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Un grand merci à Bernard Werner, Emmanuel Cornet et François Shmeltz d’avoir très gentiment répondu à nos questions et d’avoir fourni des documents inédits. Merci à Alexandre pour sa passion, la mise en relation avec les dessinateurs et sa collaboration efficace.

Pour aller découvrir un dossier complet sur LC Waïkiki, son histoire et tous ses produits dérivés, cliquez sur l’image :

Sourcelescopainsd-abord.over-blog.com

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